LE PONT



*LE PONT*


Longtemps, scrutant le ciel, il était là, fixe et immobile, fixant de son regard l'indicible; aurait-il donc ce pouvoir, de lire par delà le temps, les merveilleux moments d'innombrables farandoles dans les nuées du vent, quand le brume enveloppe la ville de cette nébuleuse, blanche et écarlate, opaque.
Pourtant, tout autour, la vie s'agite, les bambins, leurs parents, les badauds...et les autres...
Les autres, ceux qui sont tout autour, sur la place traînant, et, tels des apôtres, apostrophent, t'entraînent vers un autre univers, fait de silences, et cliquetis de chaînettes métalliques, une longue tresse sur leurs frêles épaules, et de leurs chapeaux lisses, et nus! Tout prés, la foultitude se presse, prés du funiculaire en partance, à grand coup de sirènes hurlantes, saccadée...
Il s'imprègne des sons, de ces bruits qui agacent, jusqu'à l'instant où, d'un coup, le silence se fait,
juste le cliquetis lancinant poursuit sa ronde folle, et presque inaudible, tous, alentours, immobiles, figé! Lui, regardant sa montre, accélère le pas, d'un coup, la machine, aux wagons bondés se met en branle, il aurait voulu arrêter le temps, - instant de solitude vaine -, il attendit encore quelques minutes, pour rebrousser chemin et retourner sur le parvis mouillé où son chien l'attendait.
C'est si rare, pensais-je, d'attendre, et de prendre le temps, alors je m'avançais, allant à sa rencontre,
lui pressant le pas de me voir m'avancer vers lui, précipitamment. Brusquement, il s'arrêta, et, se tournant vers moi, il agrippa ma main, la serrant fortement, me saluant , en de longues minutes, en va et vient incessants; Et là, il m'expliquai s'être perdu dans la grand ville, et son bien dérobé, dépouillé, délesté, il me réclama de l'aider, pour un billet, baragouinant dans un langage mélangé de langues multiples: il était blanc et roux, la peau laiteuse, presque translucide.
J'aurais voulu le retenir, lui parler, lui demander pourquoi il regardait là-haut; comment le retenir, un grand gaillard, robuste, bien taillé de ses larges épaules , pourtant il arrêta sa course et je compris, lui s'aidant des gestes de ses mains, il prétendit n'être de nulle part, et ici par erreur, il s'était trouvé, perdu, abandonné- il me montrait le ciel- continuant en mot à mot, par saccade, presque incompréhensible pour moi! Il m'expliqua de ne pas tourner dos à la vie, renfrogner sa rancœur, une idée du bonheur, nouvelle, différente et inconnue, dans ce désert urbain, s'extirper, s'exonérer du rythme de la multitude, et penser à l'instant, sans écouter le temps, oublier le passé, et fi des lendemains de vivre le présent.
"vivre tel une épave est une mort étrange" conclura-t-il, "il n'est point de repère qui ne se désespère, alors cherche, cherche, et retrouve le sens du vécu", il s'interrompit et il me laissa ainsi, juste un dernier regard, "pugnace, sois battant, et vis"! Mais alors que faire, quand, là, au fond du puits, tu es tout prés du large pont, qu'il suffit d'enjamber, et s'oublier, à  tout jamais...
Fragments de ces petits instants où, quand la mort t'appelle, à chaque geste, mouvement, chaque pas, t'enfonce plus profond dans la mouise, c'est si moche, et las, tu t'abandonnes, épave...
Quand j'eus levé la tête, après de l'avoir écouté, je n'ai vu, ni sa grande silhouette, ni même son bâtard de chien, juste le cliquetis des ferrailles qui persistait, et le funiculaire qui poursuivait sa course, sa dernière parole me trottait dans la tête, "Dieu que la vie est belle.."
J'ai regardé une minute le pont, ou peut-être des heures, je ne sais, j'ai rebroussé chemin!


01.2016.Y.L.P Copyright 019857 Yassine LAPLUME™


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